Je suis la plaie et le couteau!
Je suis le soufflet et la joue!
Je suis les membres et la roue,
Et la victime et le bourreau !
« L’Héautontimorouménos » (Le bourreau de soi-même), C. Baudelaire, Les Fleurs du mal.
L’homme « post-almohadien » est un homme démissionné de l’histoire, un homme sans efficacité sociale, incapable de reproduire le geste créateur de ses ancêtres de l’âge d’or. Il marque bien le moment de rupture. Bien sûr, les musulmans continueront de garder en apparence, ça et là, la tête hors de l’eau, mais ils sombreront tous inéluctablement dans la non-civilisation. Ils seront désormais incapables de refaire la synthèse de l’homme, du sol et du temps, le catalyseur de la foi première de leurs ancêtres de Médine leur faisant cruellement défaut. Ibn Khaldoun (mort en 1406) avait conscience de cela, non seulement en tant que savant, mais aussi en tant qu’homme politique. Il guettait, le désespoir dans l’âme, le moment où un esprit de corps (‘asabiyya, esprit de corps, idéologie) prendrait le relais, pour ranimer cette Oumma qu’il voyait s’éteindre inexorablement.
Tel est le spectacle qui s’offrira désormais à l’observateur scientifique de la société musulmane. Ibn Khaldoun qui a peut-être pensé un moment trouver en Tamerlan le sauveur de la situation, se contentera de tenter d’en dresser le bilan, non sans noter qu’il avait conscience de découvrir une science nouvelle : le ‘ilm ul-‘imrân, la sociologie, en tant que science de la dynamique sociale. Il fallait sentir le tremblement pour commencer à s’intéresser à ses causes. Notons au passage que le mot arabe ‘imrân est de même racine que isti’mâr qui traduit le mot français colonialisme. Dans un sens, il traduit ce qui existe, dans l’autre il traduit un appel à la colonisation.
L’homme post-almohadien est un homme incapable de créativité, réfractaire à l’autocritique, réfractaire aux idées créatrices, un homme sans courage de reconnaître en lui-même la cause de son état. C’est l’homme qui accuse toujours les autres. Sa faiblesse l’ayant conduit à la colonisabilité, puis de là à être colonisé, il tient le colonialisme pour la cause et non l’effet de son état. Sa décision n’est jamais qu’une demi-décision. Quand il agit, il fait peu et mal. Toujours négligent, il est cependant toujours satisfait de lui-même. C’est un homme qui ne connaît pas le dégoût de soi.
C’est l’homme de la ruse. Mais de quelle ruse ! Il ruse contre lui-même. Il apprend à se voiler la face. De nos jours, il est islamiste [Autrement dit un extrémiste. C’est-à-dire non pas un musulman qui se base sur les fondements de l’Islam, mais qui est excessif dans sa pratique quand bien même le Juste Milieu (al-Wassat) est inhérent à l’Islam. Or une pratique excessive est systématiquement amenée à s’estomper. Comme un coureur qui débute sa course par un sprint. Au bout de quelques mètres, s’il n’a pas déjà mis fin à sa course, il ralentit considérablement.]* quand il veut faire mine de s’assumer, baathiste ou berbériste quand il veut faire preuve d’originalité. Il y a quarante ans, il était militant marxiste et progressiste. Maintenant, il est démocrate et républicain. Il est prêt à tous les rôles. Sauf celui de l’honnêteté envers soi-même.
Texte de Malek Bennabi recueilli par son disciple Omar Benaïssa dans Malek Bennabi et l’avenir de la société islamique.
*Remarque du bloguer (moi-même).