Les Marchands, voyeurisme social

C’est une grande joie pour moi de voir le Théâtre du Nord programmer, une fois de plus, le dramaturge et metteur en scène Joël Pommerat, pour la saison 2011-2012. L’occasion pour moi de vous parler des Marchands. Cette pièce vient compléter la trilogie entamée sur le monde du pouvoir. Et, justement, «Les Marchands» concerne ceux qui semblent ne pas en bénéficier: les ouvriers. Plus particulièrement une manutentionnaire corsetée, au sens propre comme figuré, par son travail. Celle qui se présente comme narratrice nous informes que son amie parle avec des morts. Selon elle, «seuls les morts ont une existence vraie, une vie réelle». Et c’est «naturel» …

Les Marchands

© Elisabeth Carecchio

Nous avons l’impression pendant les deux heures de la représentation d’êtres nous mêmes des fantômes qui viendraient explorer, le temps de la représentation, la vie d’un ouvrier lambda (dans ce cas, n’auraient-elles pas raison de dire que seuls les morts, nous, les spectateurs-fantômes, ont une existence vraie?). C’est cette narratrice-ouvrière qui entretient une relation avec les morts, qui nous auraient invités afin de nous faire une visite guidée de son passé en étant elle-même un fantôme. Une fable à priori banale du «peuple», ceux qui travaillent ou qui tentent seulement de travailler pour survivre, pour être. Et on découvre avec effroi la crue réalité d’aujourd’hui. Dans un arrière plan de mondialisation, des hommes et des femmes privés de leur liberté puisqu’ils ne font qu’essayer de survivre. Le travail, ce médiocre travail, ne fait d’eux que des pantins du «Divin Marché» (Dany-Robert Dufour). Et c’est en ce sens que Joël Pommerat amène le spectateur à réfléchir en ne faisant que montrer, sans prise de position politique apparente. Un parti pris proche du style journalistique. Comme le suggère gère l’artiste engagé, Berlot Brecht: «   Montrer plutôt que discourir  ».

Nombreux sont ceux qui se plaignent de leur travail. Une véritable torture et robotisation de l’être humain par la répétition machinale de gestes simples, faisant de l’ouvrier non seulement une machine qui prend, pose, colle, coupe, assemble, vice… mais participant, de surcroît, à l’extinction de la conscience et, ainsi de la réflexion. Cela revient à priver l’homme de ce qu’il a de plus chère, ce qui lui permet justement de se distinguer de la machine. Et ceci n’est pas une exclusivité, c’est au contraire une véritable banalité que nous propose Joël Pommerat au travers de ce témoignage  cauchemardesque. Il ne fait que faire un zoom sur un maillon aliéné de cet impitoyable rouage. Et ce phénomène n’est pas prés de s’essouffler, au contraire il s’amplifie. Puisque nous entrons dans le temps du « travailler plus pour gagner plus  »…

J. Pommerat n’est en aucun cas dans la dénonciation, il ne fait que retranscrire ce témoignage dans un univers onirique et morbide, avec des phénomènes surréalistes. Chez ces marchands-là, les morts sortent des téléviseurs et reviennent en toute simplicité parler avec les vivants. Il y a aussi cet enfant qui tombe du 21e étage et se relève, rajuste son vêtement et marche d’un pas tranquille… Un autre élément troublant, c’est l’apparition d’un « Fils » de l’amie, aussi vieux que sa dite mère. Il n’apparait que dans les moments tragiques, tout cela vient évidemment briser le réalisme et la banalité primaires de la fable.

Elisabeth Carecchio

Ce témoignage, il nous le propose par une «esthétique fragmentée». Effectivement, la progression de la pièce se fait par un enchainement d’images comme une succession de souvenirs troubles sous – plus de 80 fondus en tout – que la narratrice exposerait et expliquerait par la voix-off, nous traduisant même l’apparent langage des personnages. Des fondus entre chaque action comme pour illustrer le caractère répétitif du mouvement d’une machine, d’autant plus qu’avec les crises de tétanie dont est parfois sujette la protagoniste, on la confondrait volontiers avec un robot…

Elisabeth Carecchio.

Shems.

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